Avril 2012

NEWSLETTER du mois d’Avril 2012

Après un magnifique pèlerinage sur les îles Galápagos, considérées comme la Mecque pour tout professeur de SVT, je suis retourné sur la partie continentale de l’Equateur pour visiter sa partie sud. L’Equateur m’aura surpris par sa diversité, tant géographique (côte pacifique, montagnes, forêt amazonienne) que culturelle. Je m’inquiète cependant de son développement extrêmement rapide, à l’image de la ville de Guayaquil (capitale économique et ville la plus peuplée d’Equateur), qui n’a pas grand charme et qui cloisonne de manière alarmante les populations riches dans de beaux quartiers murés et gardés et les « pauvres » dans des zones réputées particulièrement dangereuses.

Après deux jours de voyage et des dizaines d’heures de bus j’arrive enfin à Lima, capitale et mégalopole péruvienne avec ses 9 millions d’habitants. J’achète en arrivant le journal local qui titre sur sa page de garde : « Terremoto de 8.8 y tsunami amenazan a Lima ». La situation semble préoccuper largement la population, les acteurs préventifs (universités, sécurité civile) et la mairie qui venait de présenter son nouveau plan de sauvegarde en cas de séisme et son plan d’évacuation en cas de tsunami.


Ces deux risques sont effectivement majeurs pour Lima, qui a subi en 1746 un tremblement de terre (M = 8,9) et un tsunami qui a détruit la majeure partie de la ville. Plus récemment, en 2007, la région de Pisco (100km au sud de Lima) a été le siège d’un fort tremblement de terre (M=8,0) qui a laissé des stigmates encore bien visibles. Ce dernier, ressenti jusqu’à Lima, additionné à la catastrophe japonaise de 2011, semble avoir bien réveillé les consciences.

C’est dans ce contexte que je me suis rendu au lycée franco-péruvien de Lima où j’ai été particulièrement bien accueilli par son proviseur, M GRECCO. L’établissement, qui compte environ 1030 élèves, de la maternelle à la terminale est situé suffisamment loin de la côte pour que le risque de tsunami soit négligeable. Le risque sismique, bien présent, fait quant à lui, l’objet de toutes les attentions.

Pour s’en prévenir, l’établissement (constitué de plusieurs bâtiments, chacun construit sur un ou deux étages) a été aménagé de manière à limiter des dégâts et chutes qui pourraient s’avérer meurtriers en cas de séismes. J’ai eu la chance de rencontrer Bertrand GUILLIER, chercheur à l’IRD, spécialiste en mesure sismique sur les bâtiments, invité au lycée pour en donner une expertise. Bertrand insiste sur le fait que les séismes ne tuent pas, mais les bâtiments ! Suite à ces mesures (dans le cadre d’un TPE d’élèves de première S) les édifices seraient en mesure de résister à une secousse importante, à la différence de la grande arche qui ouvrait les portes du lycée. Celle-ci a été démantelée pour être remplacée par une entrée plus classique mais plus sécuritaire. L’essentiel des autres mesures font ensuite appel à du bon sens comme la fixation des armoires au mur et la plastification des vitres. Plusieurs travaux ont aussi été entrepris afin d’améliorer et de faciliter les voies d’accès aux zones de mise en sureté. Enfin, à terme, l’établissement, qui est situé à côté de l’autoroute Panaméricaine (pollution sonore importante et risque technologique), sera reconstruit en s’éloignant de la route et en intégrant au mieux les normes de prévention parasismique.

Pour la prévention, les consignes auxquelles sont soumis l’établissement franco-péruvien sont les mêmes que dans tous les établissements péruviens qui obéissent aux directives de la sécurité civile nationale. En cas de secousse sismique, si celle-ci est particulièrement forte, les personnes doivent s’abriter sous des « colonnes de survie ». Ces colonnes de survie sont indiquées dans tout l’établissement (et dans tout bâtiment recevant du public) par des pancartes vertes et blanches avec le S de « Sécurité ». Au sol, est également matérialisé l’espace qui devrait apporter sûreté aux personnes s’y abritant.

Une fois cette secousse importante passée, les classes doivent évacuer le plus efficacement possible les bâtiments (qui sont pour le lycée franco-péruvien majoritairement à un étage) dans leur « cercle de vie » à l’extérieur et à l’abri des bâtiments. Dans ces cercles, le professeur, qui arrive en dernier après avoir vérifié les salles, doit se charger de compter les élèves. Une fois l’appel fait, chaque classe se regroupe sur le stade de foot qui a la capacité de rassembler toutes les personnes de l’école en leur assurant une sécurité et une autonomie pendant quelques jours.

Des exercices de simulation ont lieu très fréquemment (environ 2 fois par mois) et certains sont imposés par les autorités péruviennes. Celui auquel j’ai assisté était un exercice national où toutes les écoles du pays, de la maternelle au lycée, étaient obligées de participer. Afin de l’analyser j’ai été convié à la « commission hygiène et sécurité » de l’établissement où j’ai suggérer que l’appel des élèves par « cercle de classe » se fasse au final sur le stade de foot en imaginant d’autres scénarii (pendant une récréation, un interclasse, la pause déjeuner) où les élèves ne sont pas regroupés par classe. Ces différents scénarii sont déjà ou vont l’être en allant jusqu’au l’implication des parents. M. GRECCO me confie très justement que le plus difficile à gérer sera « l’après-séisme », en particulier la remise des élèves à leurs parents.
J’ai également pu rencontrer lors de cette réunion le Premier Conseiller de l’ambassade de France à Lima qui m’a expliqué les stratégies (classiques, cf NL précédentes) de mise en sureté de la communauté française. Celui-ci insiste néanmoins sur la nécessité de chacun à se préparer à une situation extrême et de ne pas compter, a priori et dans un temps court, sur une assistance gouvernementale. J’ai pu vérifier cette conscience du risque au sein de ma « famille d’accueil », qui a constitué un sac de secours avec tout le nécessaire en cas de séisme détruisant le foyer. Des rituels ont également été adoptés par les enfants qui, en se couchant, déposent leurs chaussons au pied du lit et une robe de chambre pour pouvoir évacuer immédiatement.

A l’échelle nationale les journaux et médias en général insistent beaucoup sur les conduites à tenir. J’ai ainsi pu suivre, durant les deux semaines de reportage, une série journalistique indiquant les recommandations des autorités à la population péruvienne.
Cette culture du risque semble relativement bien développée à Lima, où l’essentiel de la population semble être bien consciente du risque et sensibilisée aux attitudes à tenir.

Je me suis, à ce titre, mis en relation avec l’UNICEF de Lima qui m’a invité à un atelier de 3 jours (Taller Regional de formacion de facilitadores del curso de capacitacion para la reduccion del riesgo de desastres en el sector educativo). Cet atelier a été élaboré dans le cadre du projet DIPECHO VII (développé plus loin) qui est un partenariat entre la Commission Européenne et les coopérations internationales. L’UNICEF du Pérou a ainsi réuni différents acteurs (ministres de l’éducation, institutions officielles en charge de la défense civile) de Colombie, d’Equateur, du Paraguay, du Venezuela et du Pérou. Différentes pistes ont ainsi été explorées, afin de sensibiliser les enfants aux risques naturels dans l’optique de sensibiliser aussi leurs familles et la société en général. Cet atelier a surtout permis d’échanger de nombreuses expériences et de faire naître des méthodologies communes ainsi que des coopérations internationales.

J’ai eu la chance de rencontrer et d’interviewer le Directeur et Représentant de l’UNICEF au Pérou, Paul MARTIN, qui m’a indiqué les champs d’actions de l’ONICEF au Pérou dans le cadre du projet DIPECHO (Disaster Preparedness of the European Commission’s Humanitarian aid and civil protection). Les projets financés par DIPECHO (255 millions d’euros depuis 1996) mettent l’accent sur la formation, le renforcement des capacités, la sensibilisation, les systèmes locaux d’alerte précoce et les outils de planification et de prévision. Comme toute l’aide humanitaire financée par ECHO, les projets DIPECHO sont mis en œuvre par des organisations européennes d’aide humanitaire et des agences des Nations unies travaillant en étroite collaboration avec des ONG locales et les autorités comme c’est le cas de l’UNICEF au Pérou.

M. Martin insiste particulièrement sur l’information aux populations les plus pauvres qui sont aussi les plus vulnérables. Plusieurs programmes de sensibilisation vont voir le jour afin de toucher toutes les strates sociales de la population péruvienne et en particulier celle de Lima. Outre les problèmes d’éducation et de sensibilisation, les populations pauvres de Lima, qui vivent dans des constructions en terre (adobe), sont particulièrement vulnérables et soulignent la défaillance en terme de protection sismique.

J’ai, à ce sujet pu interviewer Marcial BLONDET, Doyen de l’Université Catholique du Pérou, spécialiste en ingénierie civile dans le but d’en faire un reportage à part entière. Mr BLONDET précise d’abord que la majorité des zones à risques se superposent aux pays pauvres et que dans nombre de ces pays, les constructions se font en adobe ou boue séchée. En rappelant ici que les séismes en tant que tel ne tuent pas mais que ce sont les effets des séismes sur les constructions qui tuent ; les maisons en adobe sont particulièrement vulnérables et entrainent, après effondrement un taux de mortalité extrêmement élevé par étouffement. M. BLONDET et son équipe ont donc mis au point, il y a déjà une dizaine d’années, une maille plastique permettant de solidariser les briques en adobe et d’éviter leur effondrement. Une solution alternative et à moindre coût a aussi été imaginée en utilisant des tiges de roseau. Les deux types de mailles offrent une meilleure résistance du bâtiment, avec une efficacité supérieure pour la maille plastique.

Ce procédé a cependant du mal à être appliqué et utilisé par les populations concernées. M. BLONDET y voit plusieurs hypothèses : une mauvaise communication, des coûts démesurés, un problème face aux habitudes de construction, une faible mémoire sismique et une résistance face à une aide étrangère. Face à ces différents problèmes M. BLONDET a constitué une véritable équipe avec des spécialistes en communication, des sociologues, psychologues, anthropologues et philosophes, afin de toucher plus directement la population. Des livrets ont été édités, des ateliers organisés et la méthode semble aujourd’hui se développer, même s’il reste beaucoup à faire.
Pour conclure notre interview, M. BLONDET insiste sur le fait que des pays peuvent se développer sans nécessairement actionner le levier de l’économie mais d’abord celui de la mise en sûreté et de la qualité de vie.

A côté de cette action qui concerne davantage les quartiers pauvres de la ville, j’ai rencontré Carlos ZAVALA, directeur du « Centro Peruano Japones de Investigaciones Sismicas y Mitigacion de Desastres » (CISMID), afin d’avoir une vision sur l’ensemble de la ville de Lima. Celui-ci m’a fait part de sa grande inquiétude en cas de fort séisme, puisque les principales ressources vitales de la ville risquent fortement d’être touchées. Premièrement la ville de Lima risque d’être « îlotée » après un séisme majeur, puisque les principaux ponts risquent d’être détruits au même titre que le port et l’aéroport qui se situent dans des zones à très fort risque de tsunami. L’unique centrale de distribution d’eau, la centrale électrique et la principale réserve en combustible risquent elles aussi fortement de ne plus pouvoir approvisionner le réseau, créant ainsi une paralysie totale.

Face à cette menace de catastrophe bien réelle je me suis mis en contact et ai rencontré Gérard HERAIL, directeur de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) à Lima et pratiquement toutes les personnes qui travaillent dans le cadre du projet PACIVUR (Programme Andin de formation et de recherche sur la Vulnérabilité et les Risques en milieu Urbain). J’ai appris énormément en discutant et interviewant Pascale METZGER, Bertrand GUILLIER, Alexis SIERRA et Jeremy ROBERT sur leur conception originale et presque révolutionnaire du « risque ».

Cette équipe ne définit plus le risque comme, classiquement, le produit de l’aléa et de la vulnérabilité mais comme la capacité de perdre (vulnérabilité) ce à quoi on accorde de l’importance (enjeux majeurs d’un territoire). Cette différence, qui peut sembler simplement sémantique, est pourtant fondamentale puisqu’on ne part plus ici de ce qui menace (l’aléa) mais de ce qu’on veut protéger !
A titre d’exemple la démarche, actuelle et classique est d’élaborer des cartes d’aléas (sismiques, inondations, etc…) et d’y surimposer les structures importantes. On peut ainsi identifier qu’un hôpital est dans une « zone à risque » ou pas, mais c’est oublier les chaines de dépendance, nécessaire au fonctionnement d’un hôpital. Si la centrale d’approvisionnement en eau ou en électricité se situe dans une « zone à risque », l’hôpital se trouvera en incapacité de fonctionner malgré sa « bonne position ». La démarche classique n’a donc que très peu de sens et il est bien plus opérationnel de se préoccuper du fonctionnement maintenu de l’hôpital en question. De plus, le fait de raisonner à partir de ce qu’on veut protéger est une démarche bien plus efficace face à la multiplicité des aléas (terroristes, sanitaires, naturels, technologiques), puisque les réponses seront souvent les mêmes !

Dans cette définition l’aléa est donc inclus dans la vulnérabilité, puisqu’une des formes de vulnérabilité est l’exposition à l’aléa. La vulnérabilité ne se limite évidemment pas à l‘aléa qui peut concerner aussi des problèmes de types institutionnels, sanitaire etc… Ce changement fondamental de vision devrait se répercuter dans l’investissement économique de la gestion des risques naturels qui, pour le moment se concentre largement dans la mesure ou « la contention » de l’aléa.

A titre d’exemple, l’essentiel du portemonnaie « gestion du risque sismique » à Lima est dédié au micro-zonage sismique du sol. Cet investissement est très discutable à plusieurs titres : premièrement, ces mesures, qui aboutissent à des « patates d’aléas », déterminent si une zone est plus au moins « dangereuse ». Bertrand GUILLIER souligne à ce titre qu’il n’y a pas de mauvais sol mais uniquement de mauvaises constructions pour un sol donné. Il est bien certain qu’il faut la mesure sismique pour adapter la construction SAUF que la majorité des mesures sont faites sur des zones déjà construites ou dans des zones où les normes de construction ne seront jamais adaptées aux mesures sismiques. Deuxièmement, et comme ça a été démontré précédemment, les cartes d’aléas ainsi éditées donneront une vision tronquée du risque puisque ne tenant aucunement compte de toutes les chaines de dépendances.
Dans cette optique, la mesure de l’aléa ne devient pas inutile mais devrait simplement être au service de l’enjeu. Il y aurait par exemple beaucoup plus de sens à mesurer la résistance sismique au niveau de centrales électriques, d’approvisionnement en eau, d’hôpitaux, de ponts, de centres décisionnaires etc… L’investissement en « sciences dures » / « sciences sociales » devrait être inversé pour s’intéresser davantage à ce qu’une ville ou une société pourrait perdre !

Cette nouvelle vision du risque permettrait également de revoir nos scénarii sur lesquels sont basés la plupart des exercices. Ainsi, les scénarios de simulation ne devraient plus être centrés sur l’aléa (ex : séisme de magnitude 6.5 ou 8.2) mais sur l’enjeu à perdre (ex : l’usine d’eau potable ne fonctionne plus, les voies de communications ont isolé la ville, la centrale électrique ne fonctionne plus »). On étudierait les conséquences en chaine que cela pourrait avoir sur l’agglomération, afin d’y remédier et de préserver les structures essentielles au fonctionnement de la ville.

Après avoir terminé mon reportage à Lima et visité trop rapidement le sud du Pérou avec un ami, je vais me rendre en Bolivie où je suis attendu à La Paz pour une nouvelle série d’interviews.

Remerciements :

Mon premier remerciement est pour le CRDP d’Amiens, qui permet la réalisation de ces reportages et principalement pour Dominique, mon collègue à distance, qui réalise le montage de mes vidéos brutes. Je remercie aussi Delphine et Benjamin qui s’attachent à l’exploitation pédagogique et à la mise en valeur du produit.

Je remercie bien entendu l’ensemble de l’équipe éducative du Lycée Franco-Peruano de Lima en particulier Thierry GRECCO et Olinda VILCHEZ qui m’ont ouvert les portes de leur établissement avec beaucoup d’enthousiasme.

Un remerciement tout particulier à la famille KERVELLA et Antonio pour m’avoir accueilli chez eux avec autant de sympathie. J’ai adoré beaucoup de moments et les ai quittés en espérant bien les recroiser en Bolivie ou ailleurs.

Un remerciement évidemment à toutes les personnes que j’ai pu interviewer et qui contribueront à la réussite de ce nouveau reportage.

Un remerciement particulier à l’équipe IRD avec qui j’ai partagé de très agréables moments et qui on fait largement évoluer ma vision des risques.

Je pense évidemment à ma famille, amis, anciens collègues et élèves qui me soutiennent indéfectiblement !!

Liens :

Les reportages vidéos sont en ligne sur le site du Pôle National de Compétence « Education au Développement Durable » de l’académie d’Amiens.

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