NEWSLETTER du mois de Mars 2012
Après mon bref (re)passage à Cuba je suis retourné au Nicaragua pour finaliser le reportage de Managua et pour organiser la suite de mon périple. 30 heures de bus, parfois épuisantes, auront été nécessaires pour que je me rende à Panama City où j’ai été accueilli par Laurent, enseignant d’Histoire Géographie au lycée français Paul Gauguin. J’ai été directement intégré à son cercle de connaissance lors d’un repas où, en discutant de mon projet avec des français et des panaméens, je me suis demandé si le Panama n’était pas épargné par les risques naturels au point de remettre en question le reportage. Voici ce qu’a été mon premier aperçu de la culture locale du risque.
J’ai été reçu le lendemain par Jean-Luc Montes, directeur du lycée Paul Gauguin qui m’a fait part de la mauvaise information locale quant aux risques naturels et m’avoue que le lycée se prépare dans le cadre du PPMS à faire face à des catastrophes naturelles mais sans trop savoir dans quelles mesures les prendre en compte.
Toujours dans l’expectative de mon reportage je décide de chercher sur Internet des informations sur les risques naturels au Panama. Pas grand chose en français effectivement mais je tombe sur un article très récent (Dans le Carribean Journal en date du 03 mars) qui indique que le Panama a reçu une aide de 100 millions de dollars de l’Inter-American Development Bank (IDB) pour faire face aux risques de catastrophes naturelles. Je me rends sur le site de l’IDB et apprends dans leur communiqué que le Panama est classé par la « World Bank’s Natural Disaster Hotspot Study » et la « Global Facility for Disaster Reduction and Recovery » (GFDRR) au 14ème rang mondial des pays présentant le plus de risques naturels (Taïwan est en pôle position, le Japon est 8ème et le Nicaragua 15ème). Enfin, j’accède au dossier « Panama » sur le site du GFDRR qui présente très clairement les risques encourus et les stratégies développées pour s’en prévenir. On peut y lire que le Panama subit souvent d’importantes inondations et tempêtes et qu’un risque majeur de séisme et de tsunami est avéré. D’autre part le Panama qui est souvent vendu comme un pays hors de la route des cyclones pourrait s’y retrouver suite aux conséquences du réchauffement climatique.
C’est suite à ses informations, un peu trop dissimulées à mon goût, et face à cette idée de « pays protégé des catastrophes » que je décide de réaliser mon reportage.
Ma première interview est celle de Jorge, panaméen et surveillant au lycée. Jorge m’explique que le Panama est souvent perçu et présenté comme un pays « béni des dieux ». Cette croyance populaire s’explique par le fait que le Panama n’a pas, dans son histoire récente, connu de catastrophe majeure et surtout comparable à ses voisins limitrophes (Costa Rica, Colombie).
Afin d’avoir une vision objective sur la situation, je me suis rendu à l’institut de Géosciences de Panama où j’ai été reçu par Nestor LUQUE VERGARA, directeur adjoint et spécialiste en sismologie. Nestor me confirme bien, en plus du risque d’inondation liée à la saison de pluies, un risque majeur de séisme et de tsunami pour le Panama. Ces deux risques dont l’aléa est d’origine tectonique s’expliquent par la position du Panama entre la plaque « Caraïbe », « Coco », « Nazca » et « Sud-Américaine ». Cette zone, à la frontière de 4 plaques a tendance à s’individualiser sur le plan tectonique au point de considérer cette région comme une microplaque ou un « bloc tectonique ». Il est bien évident que cette situation particulière du Panama « pris en tenaille » par plusieurs plaques en fait une zone à risque sismique majeur. En témoigne l’événement de 1991 qui a tué une trentaine de personnes et en a affecté plus de 18000 (source : preventionweb, disaster statistic, Panama) ou celui de 1934, de magnitude 7 dans la région de Chiriqui qui a causé d’importants dégâts matériels.
L’institut de Géoscience de Panama concentre l’essentiel de ses efforts sur l’observation sismique des failles actives en temps réel et fait part à plusieurs réseaux mondiaux d’échanges de données afin d’améliorer la connaissance sismotectonique de cette région et de pouvoir mieux prévenir le risque sismique.
La position géographique du Panama superposé à son contexte géodynamique en fait bien évidemment une zone à risque majeur de tsunami puisque le pays présente des côtes, aussi bien à l’Est sur l’Atlantique, qu’à l’Ouest sur le Pacifique. En témoigne l’évènement de 1882 dans la région de Colon où un séisme d’une magnitude comprise entre 7 et 8 a occasionné une vague importante détruisant la région des San Blas en entrainant la mort d’au moins 75 personnes.
Plusieurs marégraphes vont être positionnés, aussi bien du côté Atlantique que Pacifique afin de détecter une vague anormalement haute et prévenir suffisamment tôt la population et la protection civile.
L’institut de Géoscience travaille étroitement et en amont avec la Protection civile à laquelle je me suis rendu et où j’ai pu interviewer son directeur général, Arturo ALVARADO DE ICAZA.
Le directeur me confirme bien que le risque le plus important au Panama, du moins celui qui est à l’origine chaque année d’importants dégâts, est le risque d’inondation. Le fait que ce risque soit récurrent et presque habituel, conduit la population à s’en prévenir correctement de manière à bien limiter l’impact d’évènements qui pourraient être catastrophiques. Le risque sismique et de tsunami est bien avéré mais beaucoup moins présent dans la conscience populaire. Le Directeur me confie que, suite à un sondage, seulement 15 à 18% de la population saurait comment réagir en cas de séisme ou de tsunami. C’est donc dans ce sens que travaille la protection civile ; faire prendre conscience à la population du risque, en passant par une éducation aux risques (développée plus loin) et se préparer le mieux possible à faire face à une catastrophe naturelle de ce type.
Le Panama sera ainsi, quand les marégraphes seront installés, le premier pays d’Amérique Centrale à disposer d’un système d’alerte et d’un plan d’évacuation de ses côtes.
Dans le cas de la prévention sismique, le Panama se spécialise, grâce à son équipe de recherche canine, dans le repérage et le sauvetage de personnes. J’ai à cette occasion pu rencontrer la maître-chien et assister à l’entrainement des six chiens spécialisés dans la recherche de personnes vivantes, ensevelies sous des décombres. L’équipe canine avec trois des chiens a déjà été envoyée en Haïti pour retrouver et sauver plusieurs victimes.
Toujours dans le registre de l’assistanat aux victimes, je me suis rendu au centre Croix Rouge – Croissant Rouge de Panama. Le centre est divisé en deux pôles, l’un faisant office d’entrepôt (le plus important d’Amerique Centrale) afin de réguler et de distribuer différents kits, outils et matériels d’assistance aux pays et zones en besoins ; l’autre s’occupant des affaires courantes budgétaires, administratives et informatives.
Cette institution, bien présente au Panama occupe une place importante dans l’information et la formation aux risques naturels comme en témoigne les différentes activités présentées sur leur site internet. La Croix-Rouge du Panama, en collaboration avec la Croix-Rouge américaine forme ainsi du personnel local et des bénévoles sur les moyens de prévention comme la fixation au murs des meubles susceptibles de tomber, le « drop cover and hold on » et la mise en œuvre de programmes éducatifs. Ce projet, qui implique également la Croix-Rouge européenne est mis en œuvre en Colombie, Costa Rica, Equateur, Paraguay, Pérou et au Salvador. Au total, cette entreprise vise à atteindre plus de 40.000 personnes dans la région, dont 2500 au Panama.
C’est fort de ces nouvelles informations, que j’ai été invité par Laurent pour présenter à sa classe de 5ème, mon projet, les risques encourus au Panama et les moyens de s‘en prévenir. J’ai travaillé en me basant sur mes expériences passées de Papeete et de Cuba pour inculquer aux élèves les notions d’aléa, de vulnérabilité, de risque, de catastrophe et de résilience. Ce genre d’interaction, toujours très riche, aura permis aux élèves de prendre conscience des risques et d’introduire le chapitre de Géographie s’intéressant à « l’inégale répartition des populations face aux risques ».
Toujours dans le cadre de l’éducation aux risques au sein du lycée Paul Gauguin, le Directeur a profité de ma venue pour organiser une réunion visant à présenter le Plan Particulier de Mise en Sûreté (PPMS) de l’Etablissement aux différentes autorités et acteurs qui seraient concernés en cas de catastrophe : l’ambassade de France, la protection civile, les pompiers et la police.
Le PPMS a ainsi été présenté, discuté et légèrement modifié sur les conseils du chef des opérations de la sécurité civile.
Je renvoie ici aux conduites à tenir en cas de séisme et de tsunami sachant qu’il faut bien évidemment adapter ces recommandations aux spécificités humaines et techniques.
Le chef des opérations de la sécurité civile a évoqué, comme l’avait déjà fait son directeur, et a proposé au directeur du lycée français un service que je trouve particulièrement intéressant : « Le sécurité civile scolaire ».
J’ai pu m’entretenir et interviewer, au sein de la direction de la sécurité civile, le directeur de ce service qui m’a expliqué que la sécurité civile panaméenne à depuis peu mis en place une « cellule pédagogique » qui travaille avec les écoles, aussi bien nationales qu’internationales. Cette cellule vise d’abord à conscientiser les professeurs et les élèves (via des interventions qui peuvent prendre différentes formes) sur les risques encourus et les moyens de s’en prévenir. Cette équipe analyse ensuite les bâtiments et les spécificités de la structure pour élaborer ou ajuster un plan de sauvetage. Celui-ci est ensuite testé et évalué par des membres de la sécurité civile et généralement les pompiers qui valident le plan. Ces efforts et mesures professionnalisent largement les plans de mise en sûreté qui sont, en France, généralement élaborés par des enseignants sans qualification particulière dans le sauvetage et l’intervention de crise.
Concernant la mise en sûreté de la communauté française, j’ai pu m’entretenir et interviewer la consule et le chef de la sécurité à l’ambassade de France qui m’ont exposé la stratégie de mise en sûreté en cas de crise. Le schéma est sensiblement le même dans tous les pays avec un partitionnement du territoire et des villes en îlots, avec à leur tête un « chef d’îlot » qui assure (en disposant d’un téléphone satellitaire) le relais entre les autorités, l’ambassade et les habitants de l’îlot. En cas de catastrophe, deux zones de regroupement on été déterminées dont le lycée français qui devrait être équipé prochainement de toutes les commodités dont doit disposer un pôle de regroupement. Celui-ci présente cependant la contrainte de se situer de l’autre côté du canal par rapport au centre ville, avec une circulation en cas de crise, sur le pont des Amériques, qui risque fort d’être interrompue.
Je donnerai pour conclure, et suite à ce reportage fort riche et intéressant, ma propre impression sur la culture locale du risque au Panama. Les Panaméens avec qui j’ai discuté (et disposant tous d’un niveau d’éducation et d’études relativement important) étaient tous conscients des risques mais jugeaient globalement que l’information n’était pas suffisamment importante, comme le prouve le niveau de conscience des français qui ne sont en général ici que de passage. Le niveau d’information tend à être amélioré comme l’a souligné le directeur de la sécurité civile qui s’attache à mettre en place des actions d’informations et de prévention particulièrement efficaces (protection civile scolaire) et de communication via les plates-formes youtube/dailymotion où sont diffusées les dernières actualités et certaines interventions ou exercices de simulation.
A mon sens l’information et sa diffusion plus particulièrement est ralentie par deux facteurs très puissants ; premièrement la conscience populaire (directement en lien avec la mémoire populaire) qui s’imagine que le Panama est un pays protégé des Dieux et épargné par les catastrophes naturelles ; deuxièmement la pression économique du pays. Le Panama est un pays avec un taux de croissance (7%) très élevé, qui bénéficie largement des retombées du canal, qui est entrain d’être agrandi. De manière générale le Panama, qui est aussi connu comme paradis fiscal, est un pays d’investissement où il serait peut-être économiquement dangereux d’accentuer l’information sur les risques naturels.
Après ce passage extrêmement enrichissant au Panama je me suis rendu à Quito, en Equateur et en Amérique du Sud pour entamer la descente de ce continent.
Je me suis mis en relation avec l’équipe de l’Institut de Recherche et de Développement (IRD, organisme français de recherche qui a pour objectif de contribuer au développement social, économique et culturel des pays du Sud) « Sismicité en Equateur » que j’ai rencontrée et avec qui j’ai déjeuné. Cette équipe, que je n’ai malheureusement pas pu interviewer, s’attache tout particulièrement à préciser l’aléa sismique de la zone de subduction équatorienne.
En ce début du mois d’avril je me retrouve en Equateur continental après un magnifique passage, coupé du monde, aux Galápagos, graal de tout professeur de SVT. Je vais me rendre, dans les jours à venir au Pérou, où je suis attendu à Lima, pour le prochain reportage de la série « La communauté éducative face aux risques majeurs ».
Remerciements :
Mon premier remerciement est pour le CRDP d’Amiens qui permet la réalisation de ces reportages et principalement pour Dominique, mon collègue à distance, qui réalise le montage de mes vidéos brutes. Je remercie aussi Delphine et Benjamin qui s’attachent à l’exploitation pédagogique et à la mise en valeur du produit.
Je remercie bien entendu l’ensemble de l’équipe éducative du Lycée Paul Gauguin de Panama en particulier Jean-Luc MONTES qui m’a ouvert les portes de son établissement avec beaucoup d’enthousiasme.
Un remerciement tout particulier à la coloc (Magali, Clothilde, Olivier, Robin) pour m’avoir accueilli chez eux avec autant de sympathie. J’ai adoré beaucoup de moments et les ai quittés à regret en espérant bien les recroiser en France ou ailleurs.
Un remerciement spécial à Nysleth pour son incroyable gentillesse et pour m’avoir fait découvrir une infime, mais nécessaire, partie de son formidable pays !
Un remerciement évidemment à toutes les personnes que j’ai pu interviewer et qui contribueront à la réussite de ce nouveau reportage.
Je pense évidemment à ma famille, amis, anciens collègues et élèves qui me soutiennent indéfectiblement !!
Liens :
Les reportages vidéos sont en ligne sur le site du Pôle National de Compétence « Education au Développement Durable » de l’académie d’Amiens.
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