Décembre 2011

NEWSLETTER du mois de Décembre 2011


Je suis arrivé le 1er Décembre à La Havane pour passer un mois sur cette île à l’histoire mouvementée et passionnante qui fait de Cuba une exception à l’échelle mondiale.

Arpenter la capitale suffit presque à déduire le passé post-amérindien :

Les bâtiments à l’architecture magnifique sont des vestiges de la colonie espagnole, initiée par la découverte de Christophe Colomb en 1492, durant laquelle Cuba a développé ses activités phares comme la culture du tabac, de la canne à sucre et du café qui ont nécessité une main d’œuvre importante fournie par les esclaves africains.

Les vieilles voitures américaines des années 50 où « maquina », servant de bus-taxi, sont des témoins, ô combien charmants, de la mainmise américaine qui a débuté en 1898, lorsque les Etats-Unis sont intervenus dans la guerre d’indépendance Cubaine pour supprimer l’influence hispanique dans les Caraïbes et renforcer leur présence militaire marine ; José Marti, héros national Cubain, avait déjà anticipé les intentions américaines et imaginé la montée de l’impérialisme économique qui c’est traduit à Cuba par une ingérence complète dont le peuple a beaucoup souffert.

Enfin, les peintures et panneaux de propagande prônant la révolution et le socialisme illustrent bien l’entrée dans la période actuelle qui a été initiée en 1956 quand Fidel Castro a pris la tête d’une armée rebelle et renversé en janvier 1959, aux côtés de Che Guevara et de Camilo Cienfuegos, le dictateur Fulgencio Batista. Cette révolution a abouti à une rupture avec les Etats-Unis et plus généralement avec l’impérialisme économique ce qui en fait une des dernières enclaves anticapitalistes de notre monde moderne gouvernée actuellement par Raul Castro, élu depuis 2008.

C’est dans ce contexte historique et politique bien particulier que je me suis mis en relation avec l’Ecole Française de La Havane qui est un établissement conventionné par l’Agence pour l’Enseignement  Français à l’Etranger et qui accueille environ 200 élèves de la petite section de maternelle à la terminale.

J’ai ainsi été merveilleusement bien reçu par son directeur, Philippe SEVERAC qui m’a ouvert les portes de son établissement pendant les deux semaines précédant les vacances de Noël et qui m’a convié aux différentes festivités, de l’inauguration par l’ambassadeur du nouveau bâtiment destiné au secondaire à l’excellent repas de fin d’année !

Le risque naturel majeur propre à l’établissement et propre à La Havane, comme à Cuba en général, est le RISQUE CYCLONIQUE. Il existe un faible risque sismique dans la partie Est de l’île mais bien moins important que celui qu’on connaît en Haïti, pourtant proche.

Cuba, situé dans la zone intertropicale, connaît régulièrement (pendant la saison cyclonique annuelle qui s’étend de Juin à Novembre) des cyclones, comme en témoigne les chiffres et les nombreux retours d’expériences qui ont pu être collectés.

Plusieurs cyclones ont particulièrement affecté le pays : Ivan en 2004, Denis en 2005 et Gustav en 2008 provoquant à chaque fois d’importants dégâts matériels mais très peu de pertes humaines. L’essentiel des dégâts économiques, qui touchent aussi bien les infrastructures que les secteurs de l’élevage et de l’agriculture se chiffrent chaque fois en dizaines de milliards de dollars. Les pertes humaines sont de l’ordre de la dizaine de personnes (en moyenne) pour chaque épisode.

Ce constat, et plus particulièrement au niveau des pertes humaines, est à bien souligner, surtout en comparaison des autres pays situés dans la zone Caraïbe (dont font partie les Etats-Unis !) et m’a amené à comprendre la gestion exemplaire du risque cyclonique par les autorités cubaines.

D’abord à l’échelle de l’école française de La Havane, qui a connu plusieurs épisodes cycloniques ; le chef d’établissement ferme l’école en se calquant sur les directives des autorités Cubaines et recommande aux élèves et aux familles de se mettre à l’abri pendant toute la durée de passage du cyclone.

Cette mesure préventive n’entraine donc pas de procédure particulière propre à l’établissement même si un Plan Particulier de Mise en Sureté est en cours d’élaboration, surtout pour faire face à des tempêtes tropicales, qui se distinguent des cyclones par leurs soudaineté.

Certains comportements sont toutefois à mentionner comme l’aménagement réfléchi des espaces verts (pour éviter des chutes d’arbres), la protection des fenêtres par des grilles, la mise à l’abri des matériels de valeurs (livres, ordinateurs) en des locaux sûrs et prévus à cet effet.

En dehors des mesures de protection propres à l’établissement, il a été intéressant d’observer de quelle manière la communauté éducative a pu participer à l’éveil des élèves sur cette thématique en vue de leur apporter une culture locale du risque.

J’ai pris l’initiative de diriger un atelier « gestion du risque cyclonique à Cuba» avec une classe de 5ème avec l’aide spontanée et formidablement enthousiaste des professeurs de Sciences de la Vie et de la Terre, d’Histoire-Géographie et d’Anglais. Nous avons ainsi travaillé sur deux matinées, alternant des séquences d’information magistrale avec du travail de recherche et de construction. Ce travail, qui est une réussite personnelle, pour les professeurs et leurs élèves a abouti (le jour de l’inauguration de l’école) à une exposition de 3 panneaux informatifs pour l’ensemble des élèves de l’école.

Le premier panneau explique la notion de risque (et a été réalisé en m’inspirant largement de mon expérience passée au Lycée Paul Gauguin de Tahiti) et plus particulièrement celui associé aux cyclones ; le deuxième traite des catastrophes historiques à Cuba en terme de conséquences humaines et économiques en se basant sur des retours d’expérience, dont ceux des élèves ; et le troisième  explique la gestion particulière du risque cyclonique à Cuba.

A ce propos, j’ai d’abord abordé la gestion du risque à Cuba en me basant sur des retours d’expériences d’enseignants et d’élèves qui ont tous été unanimes sur la qualité exemplaire de la prévention et de la prise en charge par les autorités Cubaines. Chacun a son histoire et connaît un contexte différent mais chacun sait quoi faire et à quel moment le faire sans presque aucune appréhension, dans un climat de totale confiance.

La gestion de crise s’opère par phases qui sont à la fois temporelles et spatiales :

La première phase est la « phase informative »  qui implique directement les services de météorologie détectant la formation d’une dépression cyclonique et suspectant une intersection entre Cuba et la trajectoire du cyclone plusieurs jours à l’avance.

J’ai obtenu à ce titre une interview avec Jose RUBIERA, véritable icône de la météo Cubaine, spécialiste des cyclones,  présent à la télévision nationale presque tous les soirs et ayant couvert tous les cyclones des 15 dernières années. Il me parle du rôle prépondérant de l’information en temps réel, dans un premier temps via la télévision pour informer et apporter des conseils à la population.

Jorge, élève de terminale, me fait part de son expérience lors du dernier cyclone ayant frappé l’île et me dit que « lors de cette phase, tout le monde se prépare à faire face à un éventuel cyclone, en protégeant son habitation et en y préparant un endroit de mise à l’abri (lits, toilettes, générateurs électriques, radio) et en achetant le nécessaire (nourriture, eau, kit de secours) pour subvenir en cas de coupure totale.

La deuxième phase est la phase d’alerte et concerne la zone qui sera a priori frappée par le cyclone d’ici un jour au plus. Les zones alentours restent en phase d’information. Durant cette phase la défense civile s’active particulièrement.

J’ai eu la chance, grâce à des contacts d’enseignants de l’école, de rencontrer le directeur de la sécurité civile cubaine qui m’a introduit dans leur cellule nationale de crise au siège de la défense civile, où les cartes de déplacements des derniers cyclones sont encore aux murs ainsi que les tableaux de synthèse permettant d’avoir une vision d’ensemble des mesures d’évacuation.

C’est bien l’évacuation qui est ici la mission principale de la défense civile qui s’attache à mettre à l’abri les populations vulnérables, aussi bien les locaux que les touristes ! Les mesures d’évacuation concernent également les animaux, qui représentent une valeur importante pour l’économie cubaine ainsi que certains matériels mobiles de valeur.

La troisième phase est la phase d’alarme, quand le cyclone a bien lieu dans la zone concernée. Durant cette phase la sécurité civile coupe l’électricité et la consigne pour toute la population est de rester dans l’endroit de sureté et d’écouter les informations à la radio. M. Rubiera et les services de météorologie assurent durant tout le passage du cyclone une information constante sur les ondes radio et TV rappelant les conduites à tenir en fonction de l’avancée du phénomène.

Durant une interview, Nicolas Le Carré, représentant des parents d’élèves et chargé de la sécurité pour la délégation européenne à Cuba  me confie que « les mesures de prévision et de prévention à Cuba sont exemplaires et qu’à ce titre, à l’inverse de ce qu’on pourrait penser d’un pays « en voie de développement », Cuba a bien plus de leçon à donner qu’à recevoir ! »

Maïté, documentaliste adorable à l’école française (qui m’a accompagné en tant que traductrice à la défense civile) attire mon attention sur un point qui est sûrement l’un des plus importants à mon sens dans la prévention cyclonique cubaine : l’existence des CDR (Comités de Défense de la Révolution).

J’ai eu la chance de rencontrer et d’interviewer Gretschen, cubaine parfaitement bilingue qui est présidente d’un CDR à La Havane et qui m’en a appris beaucoup à ce sujet. Les CDR sont une organisation populaire liée au parti communiste qui a été mise en place en 1960 après le renversement de Batista pour défendre les intérêts de la révolution cubaine en enrayant les sabotages organisés par les contre-révolutionnaires. Les CDR ont aujourd’hui une toute autre mission même si on leur attribue parfois un rôle d’espionnage gouvernemental.

Il existe un Comité de Défense de la Révolution par quartier regroupant des citoyens volontaires et dont chaque président est nommé par le Parti Communiste. Les missions des CDR sont aujourd’hui très diverses et concernent notamment l’entretien de la voirie, la distribution des biens d’équipements, la collecte des produits recyclables, l’organisation des campagnes de vaccination,  l’organisation de festivités de quartier et bien entendu la protection des habitants en cas d’épisodes cycloniques.

Lors de la phase informative, les CDR veillent scrupuleusement à ce que chaque habitant soit prêt à faire face à un cyclone, en aidant les populations de manière individuelle à se protéger et à organiser la mise à l’abri. Ce système permet à tout Cubain de se préparer scrupuleusement et de ne laisser personne livré à lui-même.

Lors de la phase informative mais plus particulièrement pendant la phase d’alerte, les CDR ont un rôle informatif auprès de la défense civile. Chaque président de CDR fait un rapport au responsable local du Ministère de l’Intérieur, qui en rend compte à son supérieur hiérarchique et ainsi de suite jusqu’à la direction de la sécurité civile qui peut alors organiser efficacement et spécifiquement les évacuations et les mises à l’abri.

Toutes les personnes interviewées lors de mon reportage à La Havane et rencontrées dans mon voyage dans le centre de l’île sont en contact avec leur CDR, avec lesquels ils entretiennent souvent de bonnes relations et à qui ils font entièrement confiance en cas de cyclone.

Le rôle des CDR dans la gestion de crise est à ce jour la découverte la plus intéressante de mon voyage puisque présentant l’avantage de toucher directement, via des référents, l’ensemble de la population et permettant une préparation à l’échelle de son habitation comme à l’échelle du territoire, via la défense civile.

Enfin, pour modérer un peu la gestion de crise qui est présentée ici comme exemplaire, il faut souligner qu’à ce jour aucun cyclone n’a touché La Havane, ce qui explique certainement le très faible nombre de pertes humaines recensées jusqu’ici.

Denis Gaillard, 1er conseiller à l’ambassade de France et chargé de la sécurité, me confie dans son interview que « Cuba est impressionnant de par la qualité de sa prévision et de sa prévention, mais que la protection (en terme de qualité d’infrastructure) est loin d’être exemplaire ».

Cette phrase illustre parfaitement à mon sens la politique socialiste cubaine qui est merveilleusement axée sur le bien et la sauvegarde des personnes mais au détriment d’une économie qui permettrait ici, par exemple, la rénovation ou la construction d’habitations plus résistantes à la puissance dévastatrice d’un cyclone.

C’est vrai que le pays semble courir économiquement à sa perte depuis la disparition du « grand frère communiste » en 1990 mais sa politique amène incontestablement à une réflexion personnelle plus  profonde. L’impression frappante à Cuba est que l’écart des richesses est réduit à son minimum. Même si le pays est considéré, comme beaucoup, « en voie de développement », il a une réelle identité qui fait sa richesse puisque tout cubain a droit à la santé gratuite, à l’éducation gratuite et la culture est accessible à tous ! Cette politique socialiste, certainement critiquable du point de vue économique a au moins le mérite, qui fait la fierté de la plupart des cubains, d’avoir réussi à placer les intérêts de l’Homme avant les intérêts financiers !

A l’heure où j’écris cette Newsletter, je suis à Cancun, bien loin de l’atmosphère socialiste de La Havane où l’argent est redevenu roi et où les inégalités sont à nouveau saisissantes.

La suite de mon voyage va m’amener à traverser l’Amérique Centrale, jusqu’au Panama. Je vais d’abord suivre des cours intensifs d’espagnol afin de me sentir à l’aise dans l’ensemble des pays hispaniques avant de réaliser mon prochain reportage, au Guatemala j’espère.

Le reportage à l’Ecole Française de La Havane est en cours d’envoi et devrait, après montage,  être diffusé dans la rubrique « Etablissements en action » sur le site dédié à l’Education au Développement Durable du CRDP de l’académie d’Amiens.

Remerciements :

Mon premier remerciement est pour le CRDP d’Amiens qui permet la réalisation de ces reportages et de Dominique, mon collègue à distance, qui réalise le montage de mes vidéos brutes.

Un remerciement à l’ensemble de l’équipe éducative de l’Ecole Française de La Havane en particulier Philippe, Maïté, Vladimir, Llaima, Franck, Oswaldo, Sylvie, Christian et j’en oublie…

Je remercie évidemment tous les élèves de la classe de 5ème et tous ceux qui ont bien voulu se prêter au jeu des interviews.

Un remerciement  aussi à Nicolas LE CARRE (Chargé de la sécurité à la Délégation de l’UE), André DE UBEDA (Directeur de l’Alliance Française à La Havane), Denis GAILLARD (Chargé de la sécurité à l’ambassade de France) et à Gretschen (Directrice d’un CDR à La Havane) pour m’avoir accordé lors d’un interview, un peu de leurs temps précieux.

Je remercie bien sûr Jose RUBIERA (Directeur des services de Météorologie à Cuba) et le Chef de la Défense Civile Cubaine de m’avoir reçu dans leur locaux, accordé une interview et de m’avoir tant appris !

Un remerciement SPECIAL et IMMENSE à Maricel, avec qui j’ai partagé pratiquement tout mon mois à Cuba ainsi qu’à sa famille, qui m’a accueilli avec une chaleur incroyable .

Un remerciement également à tous les amis de Maricel (Ernesto, Joanna, Pauline, Sandra, Aurélie, Alexis, JJ, Perla, Raquel, que j’ai rencontrés et que j’ai tous appréciés, au point d’avoir le sentiment de quitter des proches !

Merci aussi à Sam d’avoir partagé avec moi cette partie de voyage dans le centre de l’île à la rencontre de personnes infiniment  généreuses.

Je pense évidemment à ma famille, amis, anciens collègues et élèves qui me soutiennent indéfectiblement !!

Liens :

http://www.prim.net/

http://crdp.ac-amiens.fr/edd/

http://www.aefe.fr/education-aux-risques/le-tour-du-monde-des-risques-majeurs

http://www.mlfmonde.org/

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